Les Lambert, sous le choc, se mirent à demander des comptes : Qui était cet homme dans le cercueil de leur fille, ou plutôt qui était cet homme avec leur fille ? Comment une telle chose avait-elle pu arriver ? Et puis, où est Candussi ? Il leur avait pourtant assuré que tout serait fait dans les règles ! Ils avaient payé sans lésiner, choisissant un luxueux modèle capitonné, le plus cher du catalogue. Ils avaient pris le temps de sélectionner un matelas blanc délicat et un coussin brodé, une couverture assortie au tour et au ciel du cercueil… Rien ne devait être trop beau, trop doux pour leur princesse et ils étaient là, à regarder du bois nu ! Seul l’extérieur, avec ses six poignées et sa plaque personnalisée, prouvait qu’il s’agissait bien du cercueil de leur fille. Ils se revoyaient au cimetière, pleurant leur enfant… et pendant tout ce temps ce type était calé, là, contre elle, salissant leur deuil et violant une dernière intimité ! Qui avait osé ? Pourquoi ?
La tristesse laissa progressivement place à la fureur, ils exigeaient des réponses.
Dans la pièce d’à côté, Gallard, qui n’avait rien perdu de leur réaction, s’approcha du micro « Madame Lambert, Monsieur Lambert, je veux vous affirmer que ce corps n’était pas là quand j’ai assisté moi-même à la fermeture. Comptez-sur nous pour faire toute la lumière sur cette intrusion. Nous vous promettons de réparer les choses, et si vous êtes d’accord, vous pourrez assister à la fermeture du cercueil, le modèle que vous avez choisi, dans les mêmes conditions qu’aujourd’hui, dès que nous en aurons terminé avec nos prélèvements.
Bolek, reprit-il, nous allons devoir procéder à l’autopsie de Christophe Graillot et relever les empreintes. » Gallard coupa le micro et lui et ses assistants se mirent au travail.
Tandis que les Lambert étaient pris en charge, Bolek, sous le regard amusé de Milo, fulminait.
Il était évident que Gallard allait découvrir que Graillot n’était pas mort de mort naturelle, ça crevait les yeux ! Alors, serpette encore ? Ou poison ? On le saurait rapidement… mais en attendant – il fit signe à un collègue – il fallait convoquer Annabelle Graillot, et tout de suite ! Car quelqu’un avait menti. Quelqu’un avait profité du virus pour se débarrasser d’un gêneur en toute discrétion, quelqu’un se retrouvait libre – et riche – à peu de frais… mais ce quelqu’un ne pouvait pas avoir agi seul, oh non ! Forcément il y avait eu un complice. Stéphane Candussi ? Oui, ça se tenait… Stéphane, utilisé sans aucun doute pour avoir accès à la chambre funéraire… Stéphane, séduit puis éliminé. Annabelle, femme fatale, vendant ensuite tous les biens communs, gardant l’argent pour vivre ailleurs avec Vivianne. Ou même sans Vivianne d’ailleurs, si ça se trouve ! Bolek s’en voulait de s’être laissé abuser par ses larmes, il l’avait pensée trop imbibée, trop vulnérable pour manigancer quoi que ce soit… Agathe avait pourtant conseillé de chercher la femme.
Ha ça, Annabelle ne l’y reprendrait pas deux fois !
***
Annabelle Graillot, le teint rubicond, fit son apparition à la gendarmerie moins de trente minutes plus tard, flanquée de Vivianne.
– J’ai fêté mon divorce, annonça-t-elle, amère. C’était plus sage de me faire conduire.
Bolek allait protester, mais Milo posa sa main sur son bras « Vous avez bien fait Annabelle, suivez-nous mesdames ».
Bolek ne put s’empêcher d’admirer les talents de comédienne d’Annabelle Graillot, quand elle découvrit à travers la vitre le corps de son mari, dont seule la tête dépassait d’un drap qui recouvrait les marques laissées par Gallard et par l’assassin, la surprise parut totale. Elle faillit s’évanouir, manqua d’air, eut du mal à respirer, bref, elle offrit le parfait portrait de la veuve choquée et éplorée. Elle ne comprenait rien. «C’est pas possible, ça n’a pas de sens !» Elle voulait le toucher, le secouer, le réveiller… Heureusement, sa fidèle Vivianne la soutenait, la serrant dans ses bras. « Il lui faut un verre d’eau » demanda t-elle.
Bolek s’approcha de Milo, presque admiratif :
– Elle est douée, hein ? Bon, au moins, ça l’aura dessaoulée ! murmura-t-il.
Pour seule réponse, Milo se mit à fredonner « everybody knows she’s a femme fatale ».