Où vont les fleurs ?

Existe-t-il seulement une bonne saison, un temps idéal pour un enterrement ? Milo avait beau retourner cette question dans tous les sens, aucune réponse ne lui était satisfaisante. La pluie et un ciel couvert pouvaient contribuer à accentuer un chagrin, comme autant de manifestations d’un mauvais sort. Un soleil radieux pouvait par un insolent contraste souligner la vanité de la vie.

La voix grave, quasi lugubre en ces circonstances, de Marlène Dietrich se fit entendre par les haut-parleurs du funérarium et le sortit de ses pensées « qui peut dire où vont les fleurs du temps qui passe ? ». Le chant prit le peu de place qui restait entre les gens. Les paroles de la chanson résonnèrent, chacun sembla subitement plongé dans des réflexions sur l’éphémère des choses dont l’importance cesse à la seconde du dernier souffle. Milo ne doutait pas que dès le sortir du cimetière, ceux qui n’étaient pas littéralement rongés par le chagrin auraient déjà commencé la liste des changements qu’ils donneraient à leur existence, puisqu’après tout « la vie est si courte ».
Oui, surtout quand on se fait assassiner à mi-parcours…

Milo observa la foule, plus clairsemée qu’au funérarium, rassemblée pour le dernier au-revoir à Stéphane Candussi. Sa famille était là, le père, toujours hébété et abattu. La sœur, plus nerveuse, regardant autour d’elle, se demandant si parmi les mines rougies se trouvait celle, sournoise et maquillée de deuil, de l’assassin.
Milo reconnut peu ou prou les mêmes notables du coin, rendant hommage au père plus qu’au fils, quelques amis ou membres de la famille venus de loin et bien sûr les gens du village qui se sentaient sinon concernés au moins obligés d’exprimer du respect envers le commerçant dont fatalement chacun pouvait avoir – ou avait eu besoin un jour.

Après une brève mais émouvante cérémonie, un cortège se forma en direction du cimetière. Se fondant dans la foule, Milo laissa ses oreilles traîner. « si c’est pas malheureux d’enterrer son fils » « on est maudits à Choisy, t’as appris pour Fauque ? » « ouais, ça tombe comme à Gravelotte en ce moment » « au moins, lui, il est sûr d’enterrer son mort, Martine, elle, elle a à peine aperçu le cercueil, ça aurait pu être n’importe qui dedans ! ». Maigre consolation, songea Milo.

Autour du caveau familial, Bernard Candussi prononça péniblement quelques mots. Christelle fit signe à une de ses amies qui entama a capella la chanson déjà jouée au funérarium. Il suffit parfois de peu de choses. En voyant les branches de mimosa tomber sur le cercueil blanc, au moment où la chanteuse interrogeait « quand saurons-nous ?» Milo eut enfin son épiphanie.

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